Le réveil c'est toujours compliqué. D'abord il y a la colère. On se déplie doucement, on recommence à irriguer les idées noires de la veille. Elles ne nous lâchent jamais. Au réveil il n'y a que des idées noires. Il est beaucoup trop tôt pour se réveiller. Il vaut mieux ne croiser personne au réveil au risque d'être désagréable. Pourtant le premier pas est essentiel, le revêtement du premier sol qu'on foule est important. Le bois, le carrelage, un jouet, une vis qui traîne et toute une journée peut partir en couille. Ça peut être une semaine, pourvu qu'on soit disposé à mal vivre ces jours à venir. Chacun s'ajoute à l'autre et la haine du réveil s'amplifie à mesure qu'il y a des matins. Des matins à subir. Très vite il faut revêtir son visage diurne. Oublier ce sale réveil et enfiler le costume du jour. On attrape dans un café un peu de volonté, on prend dans une douche un peu de fraîcheur et de sourire, si on peut simplement sourire. On sait très bien que ce sourire ne vaut rien, ne veut rien dire et pourtant on le prend et on ne le lâche pas de la journée. Il ne faut pas déclencher de question trop embarrassantes qui nous obligeraient à arrêter le simulacre et commencer d'évoquer vigoureusement ces préoccupations qui tourmentent, le matin, au réveil. Quelles sont elles? Il y a tellement d'années qu'on fait semblant qu'on ne sait même plus vraiment pourquoi le matin, au réveil, on a envie de tuer le premier qui passe. En général le premier qui passe c'est moi. Se croiser c'est largement suffisant pour donner une envie de meurtre. Auto-meurtre. Ceux qui travaillent on déjà oublié ce que c'est de se réveiller avec uniquement sa sale gueule à trimbaler. Nourrir. Coiffer. Laver. Creuser. Car quand on travaille on doit savoir pourquoi on se lève. Généralement c'est pour aller détester son patron, son collègue énergique. Tout un tas de raisons supplémentaires de se sentir obligé de ne pas penser à sa sale gueule de chômeur décadent. On parle entre collègues de la machine à café qui a augmenté de dix centimes cette semaine mais qui reste moins chère que celle de l'usine d'à côté. Les cons, ils n'ont pas lutté cette année contre l'augmentation outrageuse du café de l'entreprise. Nous on ne va pas se laisser faire. Si méticuleusement mis de côté pour pouvoir l'arborer, ce sourire si parfait ne sera pas refoulé pour rien. On va se battre. Faire reculer les dix centimes. En voilà un débat important qui dure depuis des années. On en oublierait presque la grande image, celle dont on se rappelle tous les matins au réveil. Celle dans laquelle on constate que tout est fait pour un autre que nous. Pas un nous “moi je”, un nous générique. Quand on a pas d'emploi réel ou bien qu'on est un peu ouvert, concerné ou intelligent, on se réveille et on ne pense qu'à ça. La misère. Qui dort dehors alors qu'on se réveille encore une fois au sec quand il pleut? Quel temps de merde! Ça me donne envie de tuer quelqu'un ou de casser quelque chose. Alors on s'y met, comme au travail, on prend son café, on se fume une clope et on se met au travail. Tout ce qui passe on prend. On range, on lave, on plie, on allume des machines, on les programme, on les fait fonctionner, dans le vide, comme ça, pour oublier qu'on est seul, pour oublier sa sale gueule. Pour oublier que si on travaillait, peut-être qu'on s'en foutrait des autres mais aussi de la machine à café de la boîte ou de n'importe quelle autre boîte, dont, de toute façon, on se fout puisque chez nous il y a tout le confort nécessaire pour tout oublier.
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